Identités de papier

Guillaume de VaulxIdentités de papier. Essai documenté sur la logique identitaire, Liban, Dergham, 2022, 376 pages.

Certes, l’identité ne se réduit pas à ses papiers, mais elle débute peut-être par là. C’est du moins ce qu’enseigne le cas libanais. Et ce commencement doit être pris au sérieux. Née sur les papiers, l’identité libanaise constitue alors le paradigme de l’administration des appartenances, dont ce livre dévoile les mécanismes et la philosophie qui la sous-tend.

L’essai consiste en une analyse de la logique identitaire comprise comme ce qui dicte qui nous sommes, constituant par-là une formidable opération à la fois de distinction du semblable d’avec le semblable et d’assimilation de ce qui est différent. Mais muette sur ce que nous sommes, la logique identitaire constitue un repli hors du sens. Et si les identités nous condamnaient alors à un usage du langage dépourvu de signification? S’appuyant sur la théorie des ensembles, l’ouvrage propose une théorie inédite de la logique identitaire, des appartenances qu’elle forge, des marques qu’elle appose sur les corps, des stratégies qu’elle actionne et des loyautés et adversités qu’elle engendre entre les êtres. À partir de ces principes, sont proposées des études historiques et anthropologiques sur l’identité au Liban, et apportés les éléments qui la constituent et la manifestent : principalement, la galerie unique qui regroupe pour la première fois et de façon exhaustive et commentée les papiers d’identité libanais depuis l’époque ottomane jusqu’à nos jours, ainsi qu’une série de portraits manifestant la pluralité des statuts administratifs actuels.

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Le procès animal de la domination humaine

Guillaume de Vaulx, Le Procès animal de la domination humaine, Fable tirée des Épitres des Frères en Pureté (Rasāʾil Iḫwān al-ṣafā), Paris : Les Belles Lettres, 2021, 346 pages.

Un navire humain fait naufrage sur l’île du roi des djinns où l’entente règne entre toutes les espèces. Les naufragés prétendent qu’ils sont les seigneurs, que les animaux sont leurs serviteurs. S’engage alors un procès dans lequel les représentants des nations humaines se succèdent pour prouver leur supériorité. Les familles animales se relaient pour les réfuter.
Telle est l’épître sur les animaux des Frères en Pureté. Une fable-fleuve, un joyau inespéré de la littérature arabe intercalé entre un traité de botanique et un traité d’anatomie. Tout à la fois divertissement et œuvre de mobilisation politique, miroir tendu au prince aussi bien qu’aux peuples, hymne de louange au Créateur, dispute théologique autour du privilège de l’homme dans la Création, allégorie du système philosophique des Frères en Pureté, le Procès animal de la domination humaine, qui connut un grand retentissement depuis les Mille et une nuits jusqu’à la Ferme des animaux d’Orwell, n’a pas fini de nous donner à penser et à débattre.
Pour restituer l’œuvre dans sa forme authentique et en offrir les clefs de lecture, il aura fallu se confronter à des manuscrits aux versions contradictoires, réaliser l’enquête historique replaçant le texte dans son contexte, et opérer l’interprétation philosophique de la fable. Car cette épopée judiciaire est aux Frères en Pureté ce qu’est la Caverne pour Platon, à savoir l’allégorie du système.

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La destructivité en œuvres, essai sur l’art syrien contemporain

Guillaume de Vaulx et Nibras Chehayed, La destructivité en œuvres, essai sur l’art syrien contemporain, Beyrouth : Presses de l’Ifpo, 2021, 208 pages.

Onze œuvres de Syrie. Oui, mais que peut l’art dans un pays détruit ? Presque rien, hélas… Cet essai se raccroche à ce presque décisif qui se refuse pourtant au rien. L’espoir révolutionnaire évanoui, le peuple vivant au milieu des décombres et hanté par les disparus, il a incombé aux artistes de penser ce monde inédit et d’esquisser l’esthétique d’un monde qui s’effondre. Assumant l’ampleur de la catastrophe, quand tout semble devenu impossible, c’est munis des outils rudimentaires du peintre, du sculpteur ou du vidéaste qu’ils ont créé de nouveaux positionnements face au destructeur et vis-à-vis de ceux sur qui s’acharne sa destruction. Dégradation chimérique, art de la contre-esquisse, art de la collapside, de la pan-obscurité, discrétion ab-cène, tragique ultime, confrontation au don et au deuil impossibles, refus de l’abjection, l’événement esthétique se constitue en événement éthique, et laisse émerger un réel qui se désidentifie de la logique destructive dominante. Dans cette traversée que propose l’ouvrage, l’art syrien contemporain devient ainsi, dix ans après le début de la révolution, de la contre-révolution et de la guerre, un lieu de réflexions philosophiques.

Les cinq premières œuvres se rapportent au destructeur tout puissant. Trois portraits du tyran indestructible sont l’occasion de penser la figure paradoxale du potentat de la fin, à la fois définitif et vain, qui ne construit pas un empire ni conduit l’histoire à cheval, mais précipite le monde vers sa disparition, et s’y précipite avec lui. Une quatrième œuvre répond à l’impossibilité de se prémunir des objets destructifs en domestiquant les obus qui ont envahi le monde, dans une tentative d’en différer la fin. La cinquième conduit à repenser la figure impossible du sauveur dans un tel contexte.

L’ouvrage s’arrête ensuite devant une seconde série de six œuvres qui traitent du réel du point de vue de ceux qui subissent la destruction, se confrontant ainsi à l’impossibilité d’y offrir une réponse adéquate. Dans des configurations de plus en plus restreintes du monde, quelle posture peut-elle encore être créée face au supplicié, au résistant vaincu, à l’agonisant, au cadavre, à ses restes et, ultimement, au disparu ? Et ces œuvres, que donnent-elles à penser de la destruction devenu principe généralisé, autrement dit destructivité en œuvre ?

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Les Épîtres des Frères en Pureté, mathématique et philosophie

Guillaume de Vaulx, Les Épîtres des Frères en Pureté, mathématique et philosophie, Paris : Les Belles Lettres, 2019, 318 pages.

Les Épîtres des Frères en Pureté, ouvrage encyclopédique anonyme composé de 52 épîtres et à la datation inconnue, ont traversé l’histoire avec le titre prestigieux de « Coran des imams », clef philosophique donc du livre de Dieu. Ce qui se présente pourtant comme une somme des savoirs profanes (de la science du nombre à la magie), ne pouvait en sortir que plus mystérieuse, obscure, voire impénétrable, attribuée tout autant à la falsafa, aux muʿtazilites, aux soufis, à l’ismaélisme, au šīʿisme.
La présente traduction de six épîtres (sur l’arithmétique, la géométrie, l’harmonie, la sagesse de la mort, les principes métaphysiques et le gouvernement) entend lire enfin l’ouvrage à la lumière de la raison et prendre au sérieux ses débuts mathématiques : la suite arithmétique établit certes l’ordre des nombres, mais raconte aussi la Création, réconcilie sciences et religions au-delà de leurs contradictions, dessine la stratégie de conquête du pouvoir et fonde le système politique juste.
Une telle lecture conduit à la résolution du problème de la paternité de l’ouvrage : qui sont les Frères en Pureté, se demande-t-on depuis la fin du Xᵉ siècle ? Personne, ou bien tous ceux qui se défont de leur individualité et deviennent « une seule âme entre plusieurs corps ».
Mais qui est alors l’auteur de ce concept de fraternité ? Aḥmad b. al-Ṭayyib al-Saraḫsī (?-899), élève du grand philosophe et mathématicien al-Kindī. L’importante présentation qui précède la traduction entend le démontrer.

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Personne ne sera sauvé si tous ne sont pas sauvés

Guillaume de Vaulx

Docteur en philosophie et membre de l’Idéo

icon-calendar Mardi 12 décembre 2017

Il est impossible de tenir à la fois les trois affirmations suivantes : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés », « Dieu indique aux hommes un chemin de salut » et « Quiconque ne suit pas ce chemin ne peut être sauvé ». Soit Dieu veut le salut de tous, auquel cas il ne peut pas imposer un seul chemin de salut ; soit il impose un chemin particulier, auquel cas il prend le risque que certains ne le suivent pas. Et dans tous les cas, quel que soit le chemin révélé, il ne l’est qu’à un groupe donné, à une époque donnée, condamnant ceux qui vivaient avant ou loin de cette révélation.

L’auteur des Rasāʾil Iḫwān al-ṣafā, que Guillaume de Vaulx pense avoir découvert en la personne d’Aḥmad al-Ṭayyib al-Saraḫrsī (m. 286/899) propose une solution originale dans un cadre musulman. Pour lui, le monde est construit sur des relations de complémentarité : nul ne peut rassembler en soi toutes les compétences, mais ensemble, nous avons toutes les compétences. Ce principe de complémentarité vaut non seulement dans la vie de tous les jours, mais aussi pour le salut éternel : seuls, nous ne pourrons arriver au salut, mais collectivement, chacun selon sa religion et ses croyances, nous sommes capables de tous y parvenir, car le salut est au-delà de ce que chacun de nous peut arriver à accomplir seul.

Raison contre raison

Guillaume de Vaulx

Doctorant à l’Université Paris-IV

icon-calendar 3 novembre 2015

20151103_Seminaire_Guillaume_de_VaulxSous le titre « Raison contre raison », Guillaume de Vaulx présente une polémique islamo-chrétienne médiévale. Le débat oppose l’évêque nestorien Isrāʾīl al-Kaskarī et un disciple d’al-Kindī, Aḥmad ibn al-Ṭayyib al-Saraḫsī, que l’intervenant soupçonne d’être l’auteur des traités des Iḫwān al-Ṣafāʾ. Les traces qu’on trouve, dans ces traités, de la polémique en question nous indiquent à quoi peut servir la dispute interreligieuse : non pas à trouver un accord, mais à permettre à chacun d’approfondir sa quête de vérité.