MIDÉO 40 (2025) : Le sens littéral (en préparation, date limite : 30 juin 2023)
Proposer un article ou une recension
Si vous souhaitez proposer un article relatif aux thématiques des prochains numéros, une édition de texte, ou un article s’inscrivant dans le propos général de l’Institut, si vous souhaitez proposer une recension d’un ouvrage d’islamologie, vous pouvez adresser votre texte au directeur du MIDÉO ().
Les auteurs sollicitant le MIDÉO pour recension de leurs ouvrages doivent adresser leurs livres à l’adresse suivante :
Emmanuel PISANI
Directeur du MIDÉO
222 rue du Faubourg Saint-Honoré
75008 Paris – France
L’histoire du MIDÉO
Le MIDÉO — Mélanges de l’Institut dominicain d’études orientales du Caire — est une revue fondée en 1954 par les premiers membres de l’Idéo. Ces Mélanges publient notamment des contributions académiques des membres de l’Institut et des chercheurs travaillant en étroite collaboration avec eux, en français, en anglais ou en arabe.
En répondant aux objectifs de l’Institut, la revue publie des articles inédits sur l’islam par ses sources ; elle privilégie les questions théologiques et philosophiques, et l’histoire des doctrines. Elle vise aussi par des études approfondies à dépasser l’incompréhension mutuelle entre traditions culturelles et religieuses différentes et accorde une attention particulière à l’évolution contemporaine des recherches à ce sujet.
En consultant la liste des articles parus depuis 1954, on pourra juger de la diversité des sujets abordés. Depuis 2004, une série de monographies, les « Cahiers du MIDÉO », complète la collection. Depuis le numéro 30 (2014), le MIDÉO regroupe à la fois un ensemble d’articles sur une thématique spécifique, des éditions de textes et des varia. Depuis le numéro 31 (2015), le MIDÉO est accessible gratuitement en ligne.
L’histoire de la récitation coranique est une question peu étudiée. Ce volume est constitué d’un dossier rassemblant la plupart des communications tenues lors du troisième colloque de l’Idéo au Caire en octobre 2020 sur la récitation dans les premiers siècles de l’islam. Il offre un espace de réflexion sur les différents types de récitation au Proche-Orient de la fin du VIe siècle jusqu’au IXe siècle de l’ère commune : des contextes « religieux islamiques » (le Coran, le Hadith), « religieux non-islamiques » (le zoroastrisme, le christianisme syriaque) et « profanes » (les graffiti). Ces types de récitations servent de point de départ pour une réflexion sur les genres littéraires des textes récités, sur les techniques de récitation, mais aussi sur les acteurs de la récitation et les contextes socio-politiques liés à l’acte de la récitation.
Le thème de l’iǧtihād et du taqlīd, en nous renvoyant à l’antagonisme notionnel entre le raisonnement indépendant d’une part et la soumission à l’argument d’autorité d’autre part, nous plonge au cœur des débats parmi les musulmans, sunnites ainsi que šīʿites, sur les questions les plus essentielles de leur foi : Qu’est-ce que l’autorité en islam ? Quelles sont ses sources de référence ? Quelle est la place du raisonnement rationnel comme autorité ? Quel rôle jouent la révélation de Dieu et la Sunna du Prophète – respectivement, des Imāms – face à la raison ?
La relation entre le taqlīd et l’iǧtihād étant complexe, le dossier de ce MIDÉO se propose d’approfondir les deux logiques à la lumière du patrimoine islamique. L’histoire de la pensée islamique montre que l’on a établi en effet des distinctions entre les principes fondamentaux (uṣūl) et les branches du fiqh (furūʿ), que l’on a élaboré des relations avec des notions connexes (iḫtilāf, ittibāʿ, iǧmāʿ, tarǧīḥ), que l’on a évalué de manière différente le taqlīd (ḥarām, maḏmūm, mubāḥ), ou encore établi des distinctions de degrés d’iǧtihād. Au-delà de la rivalité entre les deux logiques, il convenait de vérifier si l’on restait bien dans un continuum, et que, si les perspectives hégémoniques sont rivales, elles n’en étaient pas pour autant incompatibles.
Ce volume 35 est constitué d’un dossier rassemblant la plupart des communications tenues lors du colloque d’avril 2018 à l’Institut catholique de Paris sur les interactions entre imamites et chrétiens. À partir de l’hypothèse que l’histoire, la théologie, la littérature témoignent de la dimension interculturelle des rencontres et des relations, les auteurs montrent comment les identités de chacun se sont façonnées et construites. L’histoire de missionnaires, les récits de voyages, les lettres diplomatiques d’écrivains ou de polémistes permettent en effet de mettre en lumière la réalité de ces échanges et les transferts linguistiques, culturels, théologiques, au-delà d’une vision dogmatique, hégémonique et fermée de l’énoncé théologique.
La Covid-19 (kūfīd-19) s’est déclarée aux alentours d’octobre-novembre 2019 en Chine. En plus d’être devenue un problème de santé publique mondiale, celle-ci s’est rapidement transformée en « un fait social total » (Mauss, 2013). Elle a effectivement mis en branle une pluralité d’institutions et de champs sociaux au sein des enceintes aussi bien nationales qu’internationales : économique, politique, culturel et religieux.
L’épidémie (wabāʾ) a donc engendré son lot de commentaires et de gloses religieuses de la part des hommes de foi. C’est ainsi que le théologien marocain Aḥmad al-Raysūnī, président de l’Union internationale des savants musulmans (UISM), affirma à propos de la pandémie de coronovirus (ǧāʾiḥat kūrūnā) que celle-ci appartient à « la tradition de l’épreuve/l’affliction[1] » (sunnat al-ibtilāʾ), de sorte à ce que « croyant et homme raisonnable » s’interrogent plus avant sur la manière de « tirer profit » de cette « épreuve » (yastafīdu min al-balāʾ), autrement dit des « leçons » (al-ʿibar wa-l-durūs) du point de vue spirituel et existentiel. Afin que, in fine, les gens puissent selon lui méditer sur « leur façon de vivre et sur leurs comportements » (uslūb ḥayātihimwa-sulūkihim)[2].
Pourtant, loin de se contenter de ce discours consensuel, al-Raysūnī en a également profité pour souligner combien la pandémie avait révélé l’étendue de « la santé (salāma) et sagesse (ḥikma) de l’ensemble des lois et règles contenues dans la religion islamique, de son régime législatif (manẓūmatihi al-tašrīʿiyya) ». Finalement, la pandémie, de ce point de vue, constituerait « la meilleure preuve du caractère céleste de l’islam, valable en tout lieu et en tout temps (ṣāliḥan li-kull makān wa-zamān) », prétendant même que « de nombreux endroits d’Asie orientale auraient embrassé l’islam » après la survenue du virus, parce que leurs habitants se seraient rendu compte que ses « lois et règles assurent la santé et la protection de l’Homme contre tout préjudice et mal (ḍarar wa-šarr) ». Quant au secrétaire général de l’institution présidée par Aḥmad al-Raysūnī, le shaykh ʿAlī Muḥyī al-Dīn al-Qaradāġī, « ces épidémies et virus » (al-awbiʾa wa-l-fayrūsāt) procèdent du « destin de Dieu » (qadar Allāh). Ceux-ci sont « des preuves absolues et vivantes (min al-adilla al-qāṭiʿa al-mušāhada) du pouvoir de Dieu le Très-Haut de décimer qui Il veut décimer, et ce, par le plus faible de ses soldats (bi-aḍʿaf ǧunūdihi) », référant, à l’appui de sa démonstration, à la sourate al-Muddaṯṯir (LXXIV), verset 31 : « Et nul ne connaît les soldats de ton Seigneur sauf Lui » (wa-mā yaʿlamu ǧunūd rabbika illā huwa). Il s’agirait d’une « affliction », « de maladies » (amrāḍ) par lesquelles Dieu « disciplinerait musulmans et non-musulmans », conférant « au croyant éprouvé par elles, mais empli de patience, la récompense du martyr[3] » (aǧr al-šahīd).
En fait, transcendant la seule période contemporaine, la théologie musulmane des catastrophes peut trouver des origines réelles ou présumées dans des passages coraniques ou des traditions dites prophétiques (Sunna) qui rapportent des calamités, avérées, allégoriques ou eschatologiques : nous pensons à la bataille de Uḥud, aux scènes de l’Apocalypse (ou apocalyptiques), à la punition des peuples mécréants par la destruction, la noyade, etc. La sourate al-Zalzala (XCIX) illustre par exemple l’imaginaire coranique de la catastrophe, comme événement apocalyptique maîtrisé ou jugulé par l’omnipotence et la justice divines. À la suite du Coran, les clercs musulmans, dans l’histoire, ont ainsi produit plusieurs types de littérature religieuse comme réponses aux catastrophes, naturelles ou humaines : guerres, épidémies, famines, tremblements de terre, etc. Probablement, la littérature à ce titre la plus ancienne est celle du corpus des traditions prophétiques (ou « imamiques » du côté šīʿite), tantôt de facture messianique, tantôt de facture pragmatique, tendant à former une espèce de norme théologique en matière de désastre. On en trouve des traces dans les chapitres des miḥan (épreuves), des fitan (séditions), du ṭāʿūn (peste) ou du ṭibb (médecine) dans les compilations prophétiques efflorescentes au 3ᵉ/9ᵉ siècle, à l’instar de la compilation al-Ǧāmiʿ al-ṣaḥīḥ (Le Compendium des traditions authentifiées) d’al-Buḫārī (m. 256/870). Ce dernier considère que l’épidémie est un destin de Dieu, un châtiment et une épreuve, que la contagion en soi n’existe pas (la peste étant une création divine dans la conception traditionniste), élevant en outre le statut du mort par épidémie à celui de martyr, et conseillant, de surcroît, le confinement.
Un autre type de littérature théologique des catastrophes, plus tardive et plus sophistiquée cette fois-ci, apparaît dans des traités théologico-éthiques sur les épidémies (Aḥmad ʿIṣām ʿAbd al-Qādir al-Kātib a compté 33 textes). En effet, nous disposons d’une trentaine de traités théologiques composés par des théologiens et des juristes musulmans sur le ṭāʿūn (peste) ou le wabāʾ (épidémie). Le traité le plus influent, qui a d’ailleurs fait autorité dans les milieux sunnites, est celui de Baḏl al-māʿūn fī faḍl al-ṭāʿūn (Offrir la bienfaisance à l’égard de la vertu de la peste) composé par Ibn Ḥaǧar al-ʿAsqalānī, traditionniste égyptien mort en 852/1449. Ibn Ḥaǧar al-ʿAsqalānī y discute le rôle du djinn dans l’épidémie, le statut du mort par la peste (qui devient égal à celui du martyr), de l’importance de rester confiné dans le pays touché par la peste, de se repentir, d’accomplir les invocations pour demander à Allāh la levée de la peste, ainsi que d’adopter des précautions et pratiques médicales comme la phlébotomie. On y trouve aussi une tradition tardive attribuée au Prophète, qui dit que : « La peste est un martyre et une compassion pour ma communauté, une torture pour les mécréants », ce qui pose la question de l’altérité et de la peur dans la vision traditionniste de la catastrophe, du danger ou de la menace.
Du côté šīʿite, le clerc Muḥammad ibn al-Ḥasan al-Ḥurr al-ʿĀmilī (m. 1104/1693) a dédié un chapitre de sa somme de jurisprudence šīʿite Wasāʾil al-šīʿa (Les Instruments des šīʿites) à la question de l’autorisation de fuir les lieux de l’épidémie et de la peste, sauf en cas de nécessité d’y résider, comme pour les combattants et les gardes-frontières. Nous pouvons y voir toute la flexibilité de la pensée théologique šīʿite en matière de (ré)conciliation entre les contraintes de l’urgence et les normes en vigueur de la tradition « imamique ».
Les travaux de Jacqueline Sublet, Josef van Ess, Boaz Shoshan, Lawrence I. Conrad et de Justin K. Stearns, entre autres, montrent que les croyances autour de l’épidémie ont été largement déterminées par les discours théologiques jusqu’au xɪxᵉ siècle. Néanmoins, même si ces travaux sont érudits et toujours utiles, ils sont datés et manquent en partie d’analyse plus serrée du contenu des traditions. Aussi, au vu de l’acuité de cette théologie islamique des catastrophes qui s’est (re)déployée récemment, notamment dans le monde majoritairement musulman, certaines questions sur les continuités/discontinuités dans le discours théologique entre hier et aujourd’hui restent à interroger, à investir plus avant ; celles également relatives aux normes, aux dilemmes éthiques qui se posent aux musulmans confessants et à leurs autorités religieuses : des dilemmes éthiques entre la part de destin et la part de l’action humaine, en particulier de la responsabilité devant Dieu et l’ensemble de l’humanité ; entre la préservation de la vie humaine et les impératifs d’observance des rites et rituels religieux stricto sensu. Qui a causé l’épidémie : Dieu, les djinns ou les hommes (et lesquels) ? Faut-il se fier, du point de vue des théologiens intéressés à la question, à la science ou aux données de la foi pour expliquer les phénomènes épidémiques, naturels, mais également surmonter, prévenir ou conjurer les catastrophes ? Quelle est la part du sacré, du séculier ou du profane, en d’autres mots, quelle est la part réservée à l’un et à l’autre dans les théologies musulmanes ? Dans quelle mesure la théologie islamique (ou théologies islamiques) des catastrophes est-elle aussi et simultanément une théologie de la peur, sinon de la responsabilisation/culpabilisation de l’Homme face à lui-même et face à ses semblables ? Quelle différence le discours islamique classique et contemporain établit-il entre le musulman et le non-musulman face à l’épidémie ? Comment comprendre les différents arguments normatifs religieux mobilisés par les théologiens ? Peut-on relever, à ce propos, des différences entre les littératures sunnites et šīʿites ? Entre la littérature ancienne et plus tardive concernant les catastrophes ou drames humains ? Comment les théologiens musulmans contemporains s’emparent-ils de la littérature religieuse classique pour développer leur regard sur l’environnement, le déchaînement des éléments naturels, voire vis-à-vis de l’ordre politique, etc. ?
C’est à ces quelques grandes questions parmi d’autres possibles que souhaite se confronter le dossier de ce MIDÉO consacré, au sens large, à la théologie islamique des catastrophes à différentes époques de l’histoire, dans la pensée théologique ancienne, moderne et contemporaine.
Date limite pour proposer un article: 30 juin 2021 (pour une publication prévue en janvier 2023).
Merci d’envoyer votre article à .
Le MIDÉO accueille à la fois des articles et des éditions de textes. Nous ne fixons pas de limite de longueur aux articles, seul l’intérêt scientifique est pris en compte. Merci de noter que les articles qui n’appliquent pas nos recommandations aux auteurs ne seront pas évalués.
Lawrence I. Conrad, “Ṭāʿūn and Wabāʾ: Conceptions of Plague and Pestilence in Early Islam”, Journal of the Economic and Social History of the Orient 25/3, 1982, p. 268‒307.
Josef van Ess, « La peste d’Emmaüs. Théologie et ‘‘histoire du salut’’ aux prémices de l’Islam », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Année 2000, 144-1, p. 325‒337.
Josef van Ess, Der Fehltritt des Gelehrten: die « Pest von Emmaus » und ihre theologischen Nachspiele, Heidelberg, C. Winter, 2001.
Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, Paris, P. U. F., 2013.
Boaz Shoshan, “Wabāʾ” in : EI II, Vol. 11, p. 3‒5.
Justin K. Stearns, Infectious Ideas: Contagion in Premodern Islamic and Christian Thought in the Western Mediterranean, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2011.
Jacqueline Sublet, La peste prise aux rets de la jurisprudence : le traité d’Ibn Ḥaǧar al-ʿAsqalānī sur la peste, Paris, Éditions Larose, G. P. Maisonneuve, 1971.
Ce numéro du MIDÉO reprend le thème du colloque organisé au Caire et sur Zoom en octobre 2020. Il offre un espace de réflexion sur les différents types de récitation dans les régions centrales de l’Empire arabo-musulman (de l’Égypte à la Perse et à la péninsule arabique) durant les trois premiers siècles de l’Islam, et ce dans les contextes suivants :
contexte « religieux islamique » : le Coran, le Ḥadīṯ, les histoires (qaṣaṣ), la poésie mystique…
contexte « religieux non-islamique » : psaumes et prières, juives et chrétiennes (en grec, syriaque, copte, arabe) ; cérémonies zoroastriennes et manichéennes ; rites magiques…
contexte « profane » : poésie et prose rimés (saǧʿ), en arabe, hébreu, syriaque, copte… ; discours politiques et propagande ; techniques de mémorisation pour l’apprentissage de savoirs médicaux, scientifiques, philosophiques, légaux, grammaticaux…
NB: la distinction entre « religieux » et « profane » sera évaluée.
Les discussions sur ces types de récitations serviront de point de départ pour une réflexion sur les genres littéraires des textes récités, sur les techniques de récitation, mais aussi sur les acteurs de la récitation et les contextes socio-politiques et les questions liées à l’acte de la récitation. Ce colloque est ouvert à des contributions sur l’un ou plusieurs de thèmes suivants :
1) Les modalités de la récitation
Nous étudierons les pratiques qui précèdent ou qui constituent l’acte de la récitation (religieuse et profane) : l’écoute, l’apprentissage par cœur, la lecture, la récitation, la déclamation devant une audience, le chant, le jeu scénique…, ainsi que les règles et les modalités de la prononciation du texte, des aspects artistiques et émotionnels, et enfin des contextes précis dans lesquels tel ou tel texte est récité (rites, célébrations, fêtes, calendriers, circonstances, conditions matérielles, vêtements…)
2) Récitation et transmission du savoir
La récitation est une forme de transmission du savoir. Et en retour, certains récitateurs « professionnels » transmettent un savoir-faire spécifique à la récitation. Cette session étudiera l’articulation entre la récitation et l’enseignement/apprentissage, en prenant en considération la culture matérielle (manuscrite ou épigraphique), les pratiques d’apprentissage telles que la « récitation devant un maître » et sa validation (iǧāza), ainsi que les acteurs de la récitation (souvent des professionnels, des religieux ou des artistes…) et comment ils transmettent leur art vocal et leur éthique (adab al-qurrāʾ par exemple).
3) Les enjeux de la récitation
Cette session explorera les horizons religieux/spirituels des pratiques de la récitation (édification, justification, prière de guérison, mysticisme…), ainsi que ses buts profanes (politiques, sociaux, académiques, artistiques…) : la maîtrise des contenus, le choix des temps ou des formes de récitation peuvent être liés au pouvoir, à l’identité de la communauté ou à la création.
Langues des articles : français, anglais et arabe.
La canonisation du ḥadīṯ n’a pas été sans conflits théologiques : entre les coranistes, les traditionnistes, les rationalistes, la question posée est toujours celle de l’autorité du savoir. Comment l’autorité du ḥadīṯ s’est-elle construite et comment la science du ḥadīṯ a-t-elle pu être transmise et donner lieu, au sein des écoles de fiqh et des différents courants de l’islam (kalām, philosophie, etc.), non seulement à une pluralité d’interprétations mais aussi à l’élaboration d’un cadre épistémologique ? Le dossier de ce MIDÉO cherche à comprendre la source de l’autorité du ḥadīṯ au sens de souveraineté intellectuelle, à saisir la réalité de cette autorité en tant que « texte » (matn), à questionner l’étendue des champs du savoir dans lesquels le ḥadīṯ fait autorité.
Dans le contexte du réformisme musulman apparu dès le XVIIIe siècle, certaines voix de l’islam se sont élevées contre la pratique du taqlīd (suivisme), accusée d’être responsable du déclin du monde islamique. À l’instar de Muḥammad b. ʿAbd al-Wahhāb (m. 1792), des yéménites salafistes al-Ṣanʿānī (m. 1768) et al-Šawkānī (m. 1834), du revivitaliste moghol Šāh Walī Allāh (m. 1762 ?) ou encore des penseurs égyptiens Muḥammad ʿAbduh (m. 1905) et Rašīd Riḍā (m. 1935), tous ont appelé, en s’appuyant notamment sur la pensée d’Ibn Taymiyya (m. 728/1328), à la pratique renouvelée d’une réflexion sur l’islam (iǧtihād), et au dépassement du suivisme des écoles juridiques, considéré comme sclérosant.
Dans ce contexte, il s’en est suivi une critique acérée du taqlīd et une mise en valeur appuyée de l’iǧtihād, l’un et l’autre étant pensés, dans le paradigme du réformisme, comme antagonistes1.
Ce discours et cette manière de concevoir le taqlīd et l’iǧtihād ont été très largement assumés par les orientalistes. Pour autant, Norman Calder et Sherman Jackson ont montré que cette vision est réductrice : elle rend insuffisamment compte de l’émergence et du développement de chaque concept, elle ne traite pas de leur articulation, tant dans le domaine des uṣūl al-fiqh que dans celui des uṣūl al-dīn, et elle ignore les contextes politiques2. Dans cette perspective, la connotation négative du taqlīd en islamologie serait en partie une projection des modernes (Ahmed Fekry)3.
Pour autant, si les portes de l’iǧtihād n’ont jamais été « fermées » (Hallaq)4, la majorité des savants à partir du Ve/XIe siècle, à l’instar d’al-Ǧuwaynī (m. 478/1085), a soutenu la thèse selon laquelle l’islam, comme système religieux, est achevé5. Il s’est affirmé une conception de l’histoire marquée par l’apogée du développement juridique et théologique à la fois d’un point de vue qualitatif et quantitatif, si bien que toute évolution est vue comme altération voire déliquescence de l’islam. Mais l’iǧtihād n’a pas été aboli et il est resté intégré à la réflexion savante. En revanche, c’est la prédominance du taqlīd que les réformateurs ont remis en cause.
On peut alors se demander comment, et par l’activité intellectuelle de quels acteurs sociaux, chaque paradigme fonde sa légitimé, son hégémonie.
Au niveau théologique, dans un contexte caractérisé par l’influence du soufisme, les partisans du taqlīd ont montré que les savants pouvaient être illuminés de la lumière de la prophétie : leurs enseignements sur la connaissance et la volonté de Dieu sont donc sûrs. Dans cette perspective, les récits hagiographiques des éponymes des écoles de fiqh ont constitué des marqueurs de cette proximité avec la lumière prophétique. Quant aux partisans de l’iǧtihād, ils ont mis en exergue le devoir pour chaque croyant de chercher dans les sources et de n’accepter aucun avis sans en avoir extrait les preuves par lui-même (Ibn Qayyim, m. 751/1350)6. Cependant, cette perspective, défendue notamment par les ahl al-ḥadīṯ s’accompagne aussi d’une interrogation fondamentale sur l’autorité des enseignements du Prophète et de ceux des compagnons. Suivre les compagnons n’est-ce pas une forme de taqlīd ? Ce qui est reproché aux éponymes des écoles juridiques ne pourrait-il pas être appliqué aux épigones du Prophète ?
Au-delà de ces débats théologiques, le déploiement du taqlīd ou de l’iǧtihād s’est aussi inscrit au sein de stratégies politiques : dans l’histoire du fiqh et des maḏhab-s, l’iǧtihād a été un instrument politique pour s’extraire de l’enseignement d’une école tandis que le taqlīd a permis de justifier une position conservatrice. Il a pu être aussi un vecteur de stabilité et de gouvernabilité7. Mais, d’un autre côté, si le taqlīd des différentes écoles semble disconvenir à l’unité de la umma comme expression humaine de l’unicité divine, la pluralité des avis fondés par la pratique du taqlīd a aussi garanti en islam une forme de pluralisme qui constitue une ressource contre la tentation d’uniformisation ou d’homogénéisation promue au sein d’une vision postmoderne8. Cela n’est donc pas sans susciter débat. À l’époque classique, au sein même de l’ašʿarisme, al-Ġazālī (m. 505/1111) accepte la doctrine selon laquelle, si les écoles ont des verdicts contradictoires, elles ont toutes raison, tandis que Faḫr al-Dīn al-Rāzī (m. 606/1209 ?) et Šihāb al-Dīn al-Qarāfī (m. 684/1285) la refusent. Le théologien ḥanbalite Ibn Taymiyya (m. 728/1328) s’oppose aussi sur ce point à al-Ġazālī dans sa critique du taqlīd.
La relation entre le taqlīd et l’iǧtihād est donc complexe. Le dossier de ce MIDÉO se propose d’approfondir les deux logiques à la lumière du patrimoine islamique. L’histoire de la pensée islamique montre que l’on a établi en effet des distinctions entre les principes fondamentaux (uṣūl) et les branches du fiqh (furūʿ), que l’on a élaboré des relations avec des notions connexes (iḫtilāf, ittibāʿ, iǧmāʿ, tarǧīḥ), que l’on a évalué de manière différente le taqlīd (ḥarām, maḏmūm, mubāḥ), ou encore établi des distinctions de degrés d’iǧtihād. Il s’agira par conséquent d’investir ces différentes notions connexes. On soulignera les discours théologiques de légitimité ou de réfutation, mais aussi leur articulation, parfois paradoxale, à l’instar de la critique ġazālienne des philosophes9. Au-delà de la rivalité entre les deux logiques, il conviendra de vérifier si l’on reste bien dans un continuum, et que si les perspectives hégémoniques sont rivales, elles ne sont pas incompatibles10.
Date limite: Les propositions d’article doivent être soumises pour évaluation à la direction du MIDÉO avant le 1er février 2020.
Adresse d’envoi :
Remarque: les articles qui ne respectent pas les instructions aux auteurs ne seront pas évalués.
3 Fekry, Ahmed, « Rethinking the Taqlīd–Ijtihād Dichotomy: A Conceptual-Historical Approach », Journal of the American Oriental Society, Vol. 136, No. 2, 2016, p. 285‒303.
4 Hallaq, Wael B., « Was the Gate of Ijtihad Closed? », International Journal of Middle East Studies, Vol. 16, No. 1, 1984, p. 3‒41.
7Rapoport, Yossef, « Legal Diversity in the Age of Taqlīd: The Four Chief Qāḍīs under the Mamluks », Islamic Law and Society, Vol. 10, No. 2, 2003, p. 210‒228.
9 Al-Ġazālī, The Incoherence of the Philosophers (tahāfut al-falāsifa), a parallel English-Arabic text, translated, introduced, and annotated by Michael E. Marmura, Provo, Utah, Brigham Young University Press, 2000, p. 2‒3. Voir : Griffel, Frank, « Taqlīd of the Philosophers: al-Ġazālī’s Initial Accusation in his Tahāfut », dans Sebastian Günther (ed.), Ideas, Images, and Methods of Portrayal. Insights into Classical Arabic Literature and Islam, Leiden-Boston, Brill, 2005, p. 273‒296.
Dans le contexte contemporain d’émergence d’une théologie musulmane des religions, ce numéro du MIDÉO aborde cette thématique à partir d’un regard historique qui permet d’évaluer la place accordée aux religions du point de vue islamique. À côté des réfutations (rudūd) à l’encontre des juifs, chrétiens, zoroastriens ou factions musulmanes hétérodoxes, de la vision classique où toutes les religions sont perçues comme des expressions ou manifestations religieuses déformées de la vraie religion qu’est l’islam, l’histoire est aussi celle de courants ou de penseurs qui envisagent les autres religions dans leur authenticité. Il s’agit dès lors d’apprécier un apport original et nécessaire de chaque religion dans une histoire pensée comme voulue par Dieu. Comme le montrent certaines contributions, le renouvellement de cette perspective n’est pas sans incidence sur le regard et le statut normatif accordé aux non-musulmans.
Les articles rassemblés dans le MIDÉO 32 reprennent la plupart des contributions présentées au colloque organisé par l’Idéo les 14, 15 et 16 janvier 2016 au Caire sur le thème « Les sciences de l’islam, entre répétition et innovation : qu’est-ce que commenter en islam ? » qui concluait le Projet des 200.
La question du commentaire est en effet devenue incontournable au point d’être considérée comme le mode par excellence de l’activité intellectuelle (Saleh). Les articles ici rassemblés permettent une confrontation aux sources afin de vérifier la pertinence de la grille des fonctions du commentaire identifiées par Wisnovsky et contribuent à une meilleure connaissance des auteurs du patrimoine arabo-musulman. Le volume intègre aussi un article important de théologie des religions du P. Rémi Chéno, un article sur l’épistémologie théologique d’Ibn Ḥazm (m. 456/1064) de Cordoue et présente enfin les enjeux de la « Déclaration de Marrakech » du 27 janvier dernier.