11‒13 avril 2018
L’Idéo, en partenariat avec l’ISTR de Paris (Institut de science et théologie des religions) et le GRIEM (Groupe de recherche interdisciplinaire sur les écritures missionnaires), a organisé un colloque soutenu par l’association « Les Amis de l’IDEO » et l’Œuvre d’Orient du 11 au 13 avril 2018 sur les interactions entre les chiʿites duodécimains et les chrétiens. Plusieurs spécialistes de renommée internationale y ont participé, notamment les professeurs Rudi Mathee et Francis Richard. Une délégation de savants venus d’Irak et de l’Institut Al-Khoei a aussi participé.
En mettant l’accent sur les interactions, ce colloque se proposait d’explorer les récits de voyages, les écrits des missionnaires, les textes théologiques, les rapports des ambassades et les manuscrits, afin de questionner la nature des regards portés sur l’autre, les types d’échanges et de relations entre les groupes. Il s’agissait aussi d’exposer l’évolution des identités, la transformation de chacun due à ces interactions, dans des contextes politiques pluriels selon les époques.
Nous avons montré l’existence de nombreux transferts rendus possibles en raison d’une nécessité théologique pour les chiʿites, mais aussi en raison de la proximité théologique et spirituelle liée à la théologie de la rédemption et à la fascination chiʿite pour le Dieu d’amour. Les arguments économiques ont aussi été mis en avant, puisque l’absence de subsides venant d’Europe a obligé les communautés missionnaires à des échanges économiques dans le monde où elles vivaient, parfois au prix de la transgression de leurs propres règles. Des enjeux politiques ont aussi été à l’œuvre : la rivalité entre les Ottomans, les Moghols et les Safavides a rendu nécessaires des alliances avec les chrétiens, alliances qui ont donné lieu à des manifestations d’amitié et des expressions d’estime de l’autre. La curiosité et l’empathie ont aussi été relevées, et l’on a pu parler de « christianophilie » du côté chiʿite.
Cependant, loin de vouloir idéaliser le passé, l’histoire témoigne aussi de visions partielles et parfois négatives sur l’autre : historiquement, des oulémas ont pu demander que soient chassés les chrétiens ou exiger leur conversion. À maintes reprises il a été fait mention de la situation tragique des Arméniens et de la domination des controverses. Réelles ou fictives, les controverses ont circulé, au-delà de l’empire, et véhiculé une argumentation à prétention transhistorique. Aux 18ᵉ et 19ᵉ siècles, les controverses s’inscrivent dans une logique plus politique, plus agressive aussi : elles sont une commande de l’État, ce qui témoigne d’une politisation des relations chiʿito-chrétiennes.
Il fut aussi question des activités missionnaires chrétiennes, dont la nature varie selon les capucins, les carmes ou les jésuites. Devant l’absence de conversion des musulmans, les missionnaires se sont interrogés sur leur formation, sur la nécessité de développer de nouveaux arguments, sur l’impact possible des convertis comme principaux acteurs de la mission, sur les populations à cibler en priorité, sur l’appui éventuel des milieux spirituels musulmans et du patrimoine poétique persan…
Les transferts culturels, spirituels ou religieux sont visibles au niveau de la convocation des saints, de l’iconographie, de la présentation des évangiles avec une basmala chrétienne au début de chaque évangile…
Finalement, ces échanges, ces interactions ont-ils permis une meilleure connaissance de l’autre ? Assurément, mais les rapports des missionnaires, les récits de voyages, les œuvres théologiques révèlent souvent des connaissances partielles, nonobstant la volonté de mieux faire connaître l’autre.
Les actes de ce colloque seront publiés dans le MIDÉO 35 (2020).