Colloque conclusif du Projet des 200 : « Contextualisation historique de 200 auteurs du patrimoine arabo-musulman » Idéo, le Caire, 14‒16 janvier 2016
Le séminaire Mellon Sawyer1 (University of California, Berkeley, 12‒14 octobre 2012) a abordé la question du genre littéraire du commentaire dans l’islam post-classique (6ᵉ‒13ᵉ siècle A.H./12ᵉ‒19ᵉ siècles A.D.) Les organisateurs ont souhaité remettre à l’honneur le genre du commentaire, souvent ignoré par les spécialistes des différentes sciences islamiques au titre qu’il serait par nature sans grande inventivité. Comme l’écrit El Shamsy,2 alors que la modernité a été obsédée par la question de l’originalité, la post-modernité l’a été par celle des cercles herméneutiques et des jeux de langage. Il en conclut qu’il n’est pas étonnant que le genre du commentaire et l’enseignement scolastique soient aujourd’hui réévalués.
Le commentaire est d’une importance capitale dans les sciences de l’Islam post-classique. On peut même dire, avec Saleh,3 que le commentaire est devenu au 8ᵉ/14ᵉ siècle le mode par excellence de l’activité intellectuelle, c’est la conséquence naturelle de la professionnalisation du savoir. Il oblige les penseurs à se confronter aux œuvres des autres, à suivre leur argumentation et à y répondre. On entend ici commentaire au sens large (tafsīr, šarḥ, ḥāšiya, taʿlīq, mais aussi taḥqīq, taqrīr, taḥrīr…) Saleh conclut4 en suggérant que le système ottoman des madrasa-s constitue l’aboutissement de ce mode de transmission du savoir.
Dans le cas des textes philosophiques, Wisnovsky5 a identifié sept fonctions du commentaire : 1) la collation raisonnée des manuscrits ; 2) l’identification des auteurs et des œuvres citées ; 3) la paraphrase ou la définition de termes obscurs ; 4) l’apport de preuves supplémentaires pour certaines propositions ; 5) le remodelage ou le remplacement des preuves données dans le matn ; 6) l’harmonisation des théories de l’auteur avec d’autres théories exprimées par lui dans d’autres œuvres ou avec des théories d’autres auteurs ; 7) la réfutation des théories du matn et le remplacement éventuel par une nouvelle théorie. Plus généralement, le commentaire est un des lieux de la transmission et du développement des sciences qui permet en même temps de maintenir un lien fort avec un passé souvent idéalisé.6
Les actes de ce séminaire, partiellement publiés dans le numéro 41/3-4 (2013) de la revue Oriens, montrent que l’étendue du corpus des commentaires post-classiques en Islam impose de poursuivre les recherches avant d’arriver à des conclusions probantes. Les onze des treize contributions qui ont été publiées abordent chacune un texte particulier et sa tradition de commentaires, et ce dans différents domaines : Coran, ḥadīṯ, fiqh, philosophie, médecine, soufisme et poésie. Notre colloque souhaite apporter sa contribution à ce domaine de la recherche en poursuivant l’enquête du séminaire Mellon Sawyer de 2102. Nous espérons pouvoir ajouter au dossier de nouveaux domaines et des exemples probants, dans le but de préciser les questions et d’affiner notre compréhension des enjeux de la transmission des sciences et de leur interprétation, afin aussi de comprendre s’il y a des constantes historiques dans cette problématique.
Une des questions qui mériterait plus d’attention est l’analyse des commentaires qui semblent transmettre des erreurs de copistes ou de compréhension des textes. Le cas du Mūjaz d’Ibn al-Nafīs est emblématique de cette situation. Comme l’a étudié Fancy,7 on peut comprendre que la théorie physiologique présentée par Ibn al-Nafīs dans son Mūjaz, compendium du Canon d’Avicenne, s’oppose sur certains points à sa propre théorie, telle qu’elle est exprimée dans ses commentaires du même Canon. Ce qui est plus étonnant, c’est que certains commentateurs d’Ibn al-Nafīs semblent ne pas l’avoir repéré.
Les autres questions que nous voudrions aborder sont les suivantes : Les sept fonctions du commentaire identifiées par Wisnovsky en philosophie se retrouvent-elles dans les autres domaines ? Observe-t-on des variations dans ces fonctions selon les domaines ou les époques ? Quels sont les processus qui président à la canonisation d’un commentaire plutôt qu’un autre ? Les commentaires sur ces commentaires « canoniques » remplissent-ils des fonctions différentes des commentaires sur les œuvres de base ? Les auto-commentaires répondent-ils à des critères fondamentalement différents ? Existe-t-il des éléments de réflexion d’un auteur sur sa propre pratique du commentaire et sur la fonction qu’il entend lui faire jouer ?
Ces questions s’appuient sur les résultats du séminaire Mellon Sawyer, elles ne couvrent pas tous les aspects des relations entre les textes et leurs commentaires. Nous espérons que vos contributions permettront de mettre à jour de nouvelles perspectives.
Invités d’honneur : Walid A. Saleh (Université de Toronto) et Nadjet Zouggar (RESMED, Paris).
Les actes de ce colloque seront publiés dans MIDÉO, la revue de l’institut, sous réserve d’acceptation par le comité de lecture.
Informations pratiques:
Pour assister au colloque, merci de vous inscrire à l’adresse suivante : . Inscription libre de frais.
Si vous souhaitez proposer une contribution, merci d’envoyer un résumé de 300 à 500 mots, en français, anglais ou arabe, ainsi qu’un CV à la même adresse, . Date limite : 30 septembre 2015. Nous sélectionnerons entre six et dix contributions.
Le colloque se déroulera les 14, 15 et 16 janvier 2016, à Bayt al-Sinnari.
Ce projet est financé par la Délégation de l’Union européenne en Égypte. Les idées exprimées ne reflètent pas les opinions de l’Union européenne.
1 Ahmed, Asad Q. & Larkin, Margaret (Ed.) (2013). The ḥāshiya and Islamic intellectual history [Actes du séminaire Mellon Sawyer, University of California, Berkeley, 12‒14 octobre 2012]. Oriens 41/3-4. 213‒545.
2 El Shamsy, Ahmed (2013). The ḥāshiya in Islamic law: A sketch of the Shāfiʿī literature. Oriens 41/3-4. 302.
3 Saleh, Walid A. (2013). The gloss as intellectual history: The ḥāshiyahs on al-Kashshāf. Oriens 41/3-4. 249.
4 Ibid., p. 250.
5 Wisnovsky, Robert (2013). Avicennism and exegetical practice in the early commentaries on the Ishārāt. Oriens 41/3-4. 354‒357.
6 Ingalls, Matthew B. (2013). Reading the Sufis as scripture through the sharḥ mamzūj: Reflections on a late-medieval Sufi commentary. Oriens 41/3-4. 473.
7 Fancy, Nahyan (2013). Medical commentaries: A preliminary examination of Ibn al-Nafīs’s shurūḥ, the Mūjaz and subsequent commentaries on the Mūjaz. Oriens 41/3-4. 525‒545.